Le nationalisme mène au racisme

Nadine Morano est un personnage un peu à part, impulsive, ne résistant à aucun bon mot ou slogan pour occuper le devant de la scène médiatique. Sa dernière sortie sur la « France blanche » est cependant très révélatrice d’une grave évolution en cours, que j’ai dénoncée dans Identités, la bombe à retardement : le nationalisme mène inéluctablement au racisme. Les risques majeurs sont à mon avis dans la montée inexorable de l’immense mouvement que j’ai qualifié de national-racisme. Partout en Europe les aspirations nationalistes se renforcent, sous des modalités très diverses. Des économistes liés à la gauche radicale prônent par exemple la sortie de l’euro pour résister aux ravages de la finance mondiale. Certes ils ne se disent pas nationalistes comme on avait pu l’être en 1914 (tout un peuple dressé contre son voisin). La simple évocation d’aspirations nationalistes me semble cependant aujourd’hui risquée.  Car il est très frappant de constater la grande difficulté à définir et à fixer ce qui fait nation. On l’avait déjà vu lors du fameux « Grand Débat » sur l’identité nationale. Surtout parce que les yeux se tournent plus volontiers vers le passé, traquant d’illusoires racines, alors que l’identification nationale est avant tout un grand récit collectif inscrit dans le présent, en récriture permanente. Ce principe n’étant pas admis, la quête nationaliste dérive majoritairement vers l’idée tragique que certains Français seraient plus Français que d’autres. Des Français enracinés dans leur terroir depuis des générations, dits « de souche » ou parfois « petits blancs ». Alors, le socle identitaire parvient beaucoup mieux à se fixer. Mais au prix de conséquences désastreuses, parce qu’il y a eu glissement du nationalisme au racisme. Les « vrais Français » s’opposent aux Noirs, aux Arabes. Et aux musulmans.

Le terme « petits blancs », à la mode aujourd’hui, est d’ailleurs très ambigu dans son intitulé, renvoyant à une couleur de peau alors que la quête essentielle est celle d’une francité imaginaire. Le petit Blanc ne sait pas s’il est d’abord un Blanc ou d’abord un Français. Il existe donc des Français qui se sentent plus Français que les autres. Or ils ne sont pas plus Français que les autres Français, absolument pas, pas d’un seul millimètre. Il ne faut pas confondre l’histoire d’un pays et l’identité nationale. La confusion est la même que pour l’identité individuelle : l’identité (individuelle ou nationale) ne doit pas être renvoyée aux origines, aux racines, à la mémoire, elle est une production de sens dans le moment présent. Certes cette mémoire est très importante, la France a une histoire, enseignée dans les écoles, qui permet d’élaborer collectivement le récit national. Mais ce récit change, la France de 1915 n’est pas la France de 2015, le récit est sans cesse réécrit, notamment par les nouveaux arrivants. En poussant le paradoxe, on pourrait presque dire que s’il y a des Français plus Français que les autres, ce sont les plus récemment intégrés, dans la mesure où (sauf quand ils s’égarent dans le séparatisme communautariste), ils sont plus actifs dans l’écriture renouvelée du récit national.

Le « Français de souche » qui se pense plus Français que les autres ne peut trouver au final que deux critères de distinction : la religion et la couleur de la peau. Dès que le nationalisme s’exacerbe, la glissement est systématique, inéluctable. Car aucun autre critère ne peut souder autour de l’idée d’une identité venue du passé.

L’affaire Morano révèle que deux conceptions de l’identité se confrontent actuellement. L’avenir de notre société dépend de l’issue de ce débat. Et l’enjeu est considérable, car de graves dangers nous menacent.

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