jeudi 10 janvier 2013

Le fauteuil de tante Marie

 

D’abord il y a les objets ordinaires, qu’ils soient modeste tire-bouchon au fond d’un tiroir, ou dérisoire balai caché dans une encoignure. L’erreur est de croire qu’ils ne soient que des objets, hors des personnes. Car ils nous fabriquent de l’intérieur. Il suffit de les toucher ou de les regarder pour qu’ils s’installent dans notre univers intime et commencent à porter notre mémoire, se transformant en repères de nos gestes les plus simples, ceux qui construisent les fondements de l’identité. Nous faisons corps avec tous les objets familiarisés, immense cohorte presque invisible.

Et puis il y a les stars du logis, les couleurs et les formes dont le rôle est d’accrocher le regard, de poser une ambiance, d’afficher nos goûts. De proclamer à nous-mêmes et aux autres quel est le style de notre personnalité. Beau programme ! Mais ces objets-stars doivent résoudre deux contradictions.

La première est celle du Bien-être. Agressés par la vie sociale, qui est devenue mentalement épuisante, nous avons un intense besoin de réconfort. Dans l’imaginaire collectif, le chez-soi est rêvé comme le lieu de toutes les douceurs réparatrices. Un petit monde d’amour.  Et les objets aussi doivent être habiles aux caresses. Prenez le vieux fauteuil de tante Marie. Son cuir respire l’Histoire, sa plume molle invite à l’abandon : on se sent si bien dès qu’on s’y niche ! Hélas voici venir ici la première contradiction. Car ces objets qui font du bien doivent également être beaux, s’inscrire dans un décor superbe. Or de ce point de vue, il faut le dire, le fauteuil de tante Marie fait tâche. Son cuir élimé est irrécupérable, et on s’y est tant assis qu’il est tout avachi. L’être-bien et l’esthétiquement remarquable font rarement bon ménage.

Le second paradoxe est celui de l’Harmonie. Nous voudrions que notre décor soit comme le tableau d’un grand maître, que le moindre détail fasse sens dans un ensemble. Malheureusement il y a tous les tire-bouchons, balais, et autres objets ordinaires qui ne cessent de pointer le bout de leur nez. Et surtout, on ne construit pas son chez-soi d’un coup, comme un tableau, sur une toile blanche. On ajoute des strates  à mille objets déjà-là, qui ont chacun une longue histoire. Jeter à la poubelle le vieux fauteuil de tante Marie serait rien moins qu’un petit crime familial.

 

 

 

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