Femen, taille 36
Femen, taille 36
Il y a quelque chose qui me gène, voyez-vous, chez les Femen. Non pas leur audace échevelée, plutôt réjouissante à une époque où nous résignons trop, par lâcheté ou par paresse. Elles osent tout, et nous avons besoin de telles audaces. Pas trop non plus le flou de leurs revendications. Je serais davantage gêné par leur inculture politique donneuse de leçons, leur manque de respect et de compréhension des sociétés qu’elles assaillent, comme en Tunisie récemment. Mais on pardonne tout à la passion, à la jeunesse, d’autant que leur mouvement n’est que très accessoirement politique, il est d’abord et avant tout esthétique. Les Femen réalisent une performance artistique d’un nouveau genre, proposant des images fortes, déjà canonisées (jeune femme aux seins nus rageuse et hurlante, s’arrachant des bras d’un policier fort embarrassé) qui leur donnent une signature mondialement reconnue. Or c’est justement là, au cœur de cette esthétique, que se pose un petit problème.
Car ce qui me gène vraiment, voyez-vous, c’est ce détail : elles font une taille 36. Au pire, 38. Les Femen se ressemblent beaucoup, mêmes seins sans excès, mêmes ventres plats, mêmes jambes filiformes. Blondes au départ (le mouvement est né en Ukraine), elles adoptent désormais une variété de couleurs capillaires qui suit l’internationalisation du mouvement. Mais leur corps, lui, est toujours identique. Etrangement conforme au diktat de l’époque pour un groupe se voulant anticonformiste. Avez-vous vu beaucoup de Femen âgées ou obèses, de seins mous ou fripés ? Non ! Tout au contraire, on sent que ces belles jeunes femmes affichent avec fierté leur minceur sous le flash crépitant des photographes. N’est-ce pas troublant ? Je ne peux m’empêcher de penser aux défilés de mannequins squelettiques, qui eux aussi attirent les photographes par la minceur provocante de leur esthétique éthérée. Certes, les mannequins sont beaucoup plus maigres encore. Mais les squelettes de la haute couture ne se disent pas féministes. Les Femen, si. Le féminisme est d’ailleurs leur seul mot d’ordre qui soit vraiment clair.
Or, que signifie un féminisme propageant une image qui fait tant de mal aux femmes, renforçant le diktat de l’ultraminceur, qui interdit le droit au bonheur quand leur morphologie s’en éloigne ? Les femmes ont à se battre contre les hommes qui refusent de partager les manettes de l’économie et de la politique, contre ceux qui ne font toujours pas la vaisselle ou le ménage, contre les violents, les agresseurs sexuels, etc…etc…C’est vrai. Mais leur ennemi est parfois aussi en elles-mêmes, quand elles se sentent obligées de se conformer à des modèles de beauté qui les piègent. Les Femen, il me semble, n’ont pas compris cela.
Femen, je vous en conjure, ayez plus d’audace ! Elargissez vos rangs, recrutez des petites grands-mères, des rondes XXL, des femmes ordinaires ! Femen, soyez moins belles devant les caméras ! Je sais, l’impact de votre image s’affaiblira dans les médias. Mais vous y gagnerez un idéal sans commune mesure : la plénitude de sens que confère la beauté intérieure.
Photo Alvaro Canovas pour Paris-Match
20 Commentaires
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- Tétons | Blog de Mélilotus - [...] un groupe se voulant anticonformiste » comme le dit Jean-Claude Kaufmann sur son site ici. Ce même sociologue qui avait ...
Très beau coup de gueule et une tout aussi intéressante analyse !
Je lisais justement ce matin dans Elle un article sur un docu consacré aux Femen, “Ukraina ne bordel”, présenté il y a peu à la Mostra de Venise.Lire la suite du commentaire
Merci Rachida pour cette longue analyse. Il semble que le documenaire de Kitty Green, “L’Ukraine n’est pas un bordel” soit un peu sujet à débat (voir le très bel article de Caroline Fourest dans le Huffigton Post, en accès libre). Viktor en effet, le “gourou macho”, a sans doute gonflé son rôle devant les caméras, elles n’étaient pas dépendantes de lui comme il le raconte. Et surtout, elles ont depuis totalement pris leur autonomie. Cette histoire illustre simplement à mon avis les zones d’ombre qu’il peut y avoir dans le mouvement. Et pour moi la principale est cette incroyable conformité aux normes de beauté dominantes. Evidemment, c’est justement ce qui plait aux photographes !!!
Vraiment d’accord avec l’idée qui y est défendue et que je suis la première à soutenir, mais faut pas non plus faire culpabiliser les femmes qui s’engagent et qui font une taille 36… Parce que bon, faut rappeler qu’on choisit pas non plus toujours…
Ce qui me gêne, ce n’est pas la taille 36 bien sûr, c’est que tous leurs corps soient calibrés sur le même modèle
Oui, on peut s’interroger à savoir pourquoi…Lire la suite du commentaire
Tout à fait Jean-Claude, j’avais bien pris note du fait que le documentaire faisait débat, d’où ma précaution à parler au conditionnel:) En effet, le problème de fond semble résider dans cette nécessité de photogénique qui semblLire la suite du commentaire
C’est exactement ce que j’ai pu penser et dire concernant les Femen. Je suis entièrement d’accord sur ce point!
Votre analyse porte sur un sujet qui m’a frappé également il y quelques mois lorsque les médias ont beaucoup polémiqué à leur sujet…Lire la suite du commentaire
Votre analyse part du principe que la beauté extérieure n’est pas en phase (néanmoins pas représentative) de la beauté intérieure , et comme si le contraire est la “vérité” qui demande rien d’autre que d’être mise à “nu” ! Un peu léger comme point de vue !
Loin de moi l’idée de critiquer la beauté extérieure, ou les tailles 36 ! La seule chose que je dénonce est la norme obligatoire, le calibrage unique, celui qui attire les photographes et permet d’obtenir des couvertures de magaLire la suite du commentaire
Bien sur, mais chacun ses armes et ses filles n’ont pas trouvées mieux ! Je ne suis pas forcément pour leurs mouvement, mais elles essayent de faire entendre leurs revendications ! C’est juste cela qui peut être retenue, à mon avis !
En préambule ,je voudrais ces lignes respectueuses envers ces jeunes et divertissantes personnes qui permettent d’avoir un débat courtois pour une fois sur le sujet, sinon cela serait à l’encontre de leurs aspirations légitimes et of couse primordiales pour un monde plus juste égalitaire,équitable simple,nu,frais et rebelle,beau un peu comme une fresque fashion-vanity trash…c’est vrai qu’il y a ,à mes yeux,un petit côté “soupe campbell-pompom girl” , pur style détournement néo-situationnniste de politique -danone marketing (y a que les fruits qui changent .C’est toujours le même pot) mais le message est plutôt perçu généralement comme une simple campagne d’auto promotion d’un mouvement certes juvénile et sympathiques au regard de l’esthète ,telle une ronde de Botticelli taguée au goudron,mais le temps de la promotion informative au prime time interdit du coup l’approfondissement, l’éclaircissement ,ou la mise en abîme et en aveux du seul message,toujours le même, devenez star cinq minutes,vous le valez bien!Toutes ces jeunes filles-femmes ont l’avantage de me rappeler que ce fut la manière libre et simple des hyppies avec des fleurs sur les seinsde faire tomber pacifiquement ,des barrières mentales archaïques et stupides sur le corps,le sien et celui de l’autre ,quand nous étions tous “for ever young….”Vous avez raison,divertissez vous et cueillez la rose, mais, please n’oubliez pas de mettre une marguerite dans les fusils, sisters ! pour un monde plus pacifique of couse.Bonne lutte,bonne jeunesse ,may you stay for ever young…
Vous n’avez rien compris, elles renversent la jolie femme à poil pour en faire une arme qui se retourne contre les amateurs de femmes à poil et muettes: “Sois belle, et tais toi”
Par ailleurs elles font la démonstration qu’il y a aussi des feministes jolies, ce qui ne rassure pas les messieurs qui aiment se dire féministes = laides, mal baisées, etc. Les féministes des années 70 répondaient par une question rigolotte en renversant elles aussi les termes et le sens habituel: “mal baisées ? Par qui ?” contre ceux qui les réduisaient à ces termes de “baisées”. Autre temps autres armes.
J’ai pu voir des femen dont les seins ne sont pas dans la norme (tombant, fripés, etc…), et pas si jolies… Jamais dans la presse ni à la télévision, bien sûr… N’y a-t-il pas là plutôt un filtre médiatique ?
Ces exemples sont quand même assez rares. Mais vous avez raison, il faudrait creuser aussi le rôle amplificateur des médias.
Bonjour,
Après avoir lu avec intérêt une présentation de votre dernier livre sur les fesses et vos derniers commentaires toujours aussi stimulants sur l’actualité – notamment les Femen et les seins nus – je me suis demandé si vous aviez également connaissance d’une étude menée par le médecin du sport Jean-Denis Rouillon et professeur à l’université de Franche-Comté. Il a ainsi observé et mesuré les seins de près de 320 femmes pour étudier l’évolution d’une poitrine sans soutien-gorge. Les premiers résultats avaient été très relayés dans la presse en avril 2013…
En voici quelques-uns qui m’ont interpellée sur ce sujet, faisant écho à certaines de mes réflexions :
- http://www.lemonde.fr/style/article/2013/04/11/le-soutien-gorge-serait-il-inutile_3158156_1575563.html
- http://blogue.passeportsante.net/raissa-blankoff/2012/10/le_soutiengorge_un_accessoire.html
Alors depuis plusieurs mois, j’ai fait le test d’un port très occasionnel de soutien-gorge étant donné ma poitrine menue. Et je ne m’en porte pas plus mal (pour l’instant) ! En dépassant ce port obligatoire, cela m’a permis :
- d’avoir une autre vision de mon corps et du regard des autres : impression au départ d’être « seins nus » alors que je portais un tee-shirt ou débardeur ! puis sentiment de mieux respirer, d’être soulagée et comme libérée…
- de dépasser le diktat de la mode : Raïssa Blankoff l’exprime très bien en introduction de son article « On peut se demander aujourd’hui si les femmes ne prêtent pas nettement plus d’attention à leur soutien-gorge qu’à leurs propres seins. »
De là à rejoindre les Femen il y a plus d’un pas à franchir !
Oui, j’avais suivi les commentaires sur cette étude très intéressante. Merci pour votre témoignage précieux.
Bonjour,
je me permets de publier votre article sur mon blog http://www.grosses.wordpress.com . J’en profite pour vous dire merci. Je suis grosse, franchement obèse selon la médecine. J’ai été longtemps dans la négation de cela, je ne le prenais pas en compte dans ma définition de moi même. Ça me permettais d’avancer, mais ça me faisait aussi beaucoup souffrir, je me cachais tout le temps, et je ne me voyais pas comme un tout. Et un jour, j’ai commencé à cogiter, et j’ai cherché des livres, mais comme je ne pouvais pas assumer réfléchir directement sur la grosseur vis à vis de mes proches, je n’ai pas cherché des livres traitant directement du sujet, alors j’ai lu “stigmate”. Après, j’ai pu assumer, aller plus loin, avec des bases un peu plus claires. Je vais m’empresser de me procurer la guerre des fesses.
Vraiment, merci.
Lucie, merci d’avoir publié l’article sur votre blog, il est fait pour être partagé bien sûr. Merci également pour votre témoignage très fort. Mon livre essaie d’analyser pourquoi la norme tyrannique de la minceur s’est imposée dans notre société, provoquant tant de souffrances.
Bonjour M. Kaufmann, êtes vous sur de ce que vous avancez ? Une simple recherche google images m’a permis de saisir un nombre assez important de femens ne se rapprochant que de très très loin des critères de beauté que vous énoncez. Ce qui est sur c’est qu’il y a un noyau de 5-6 femens ukrainiennes correspondant à des canons hollywoodiens de beauté, pour le reste, c’est nettement moins sur. Dans l’idéal, plus d’exemples, et une rapide analyse de contenu ou un peu de quali/quanti pourrait certainement contredire ce que vous avancez. Cordialement.