vendredi 23 novembre

C’est moi sur la photo, il y a très très longtemps, sans moustache et avec cheveux. Quand j’ai écrit ce texte pour Psychologies Magazine, la photo n’a pas été publiée, il n’y avait plus de place. Voici donc aujourd’hui le texte original de ce souvenir d’enfance, accompagné de sa photo.

Un plongeon ridicule

 

Un souvenir de vacances ? J’en ai tellement de si beaux, surtout ceux remontant à l’enfance. Finie l’école, finie l’angoisse pour ma note de math effroyablement basse. Enfin le soleil, la liberté, l’aventure. Je me souviens de la rivière des Alpes italiennes, des sauts de pierre en pierre, où je m’imaginais plus fort que Tarzan dans sa jungle, du braconnage des truites, saisies à la main sous les rochers. J’étais le maître du monde. Sauf pour la baignade, dans la lame autour de laquelle se pressait une foule immense (de 15 à 20 personnes). Car j’avais un gros problème avec l’eau. A peine ma tête se retrouvait-elle en dessous de la surface que je me croyais promis à la noyade.

Il y avait vraiment beaucoup de monde ce jour-là. Quel âge avais-je ? Dix ans à peine ? Mes petits camarades criaient, hurlaient de rire, en sautant du rocher surplombant la lame, provoquant des gerbes d’eau impressionnantes. Je sautais moi aussi, de façon plus modeste, à un endroit savamment calculé pour sa faible profondeur. Déjà je ne me sentais pas à la hauteur de leurs exploits, je pensais être observé, raillé, disqualifié. Horreurs des horreurs : c’est alors qu’ils décidèrent de plonger. Plonger ! La tête la première ! Que faire ? M’enfuir ? Le déshonneur était assuré.  Non, je devais faire face, trouver une astuce pour me sortir de ce piège.

Je décidai donc de plonger à ma manière, depuis mon endroit favori, là où je ne risquais pas de perdre pied, armé d’une bouée autour de la taille (ridicule j’en conviens) que je tenais d’une main cependant que l’autre devait fendre l’eau d’un geste que j’espérais élégant. J’avais prévu de m’élancer parfaitement à l’horizontale, pour éviter un mouvement de bascule la tête vers le bas. Hélas au moment fatidique, me sentant observé de toutes parts, j’oubliai tous ces calculs, lâchant la bouée pour tendre mes deux bras vers l’avant dans un plongeon de rêve. Quel orgueil ! J’allais vite le payer très cher, car aussitôt le cauchemar commença. J’étais la tête sous l’eau, au contact des pierres. Je ne m’étais pas fait mal mais mes pieds étaient toujours au-dessus de la surface, à l’intérieur de la bouée. Scène improbable, pourtant bien réelle, digne d’un dessin animé, qui pour moi était un film catastrophe. La panique m’empêchait de faire les gestes simples pour me libérer.  Quand je parvenais à sortir un peu la tête de l’eau, j’entendais les rires, que j’imaginais moqueurs. Alors que j’étais en train de mourir ! J’en étais persuadé. Mourir de la façon la plus ridicule qui soit !

Je ne risquais pas de mourir. La scène que j’avais imaginée interminable n’avait sans doute duré que quelques secondes. Les rires de la plage ne m’étaient peut-être même pas destinés. J’étais seul à penser qu’il s’agissait d’un drame. Mais il reste très fort dans ma mémoire. Il me sert encore aujourd’hui lorsque je sens que le regard des autres me pousse à agir d’une façon qui n’est pas la meilleure. Plus jamais je ne plonge quand je n’ai pas envie de plonger.

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