Un souvenir d’Anémone

Anémone, qui s’était déjà retirée loin du monde, pour « buller » disait-elle, s’en est allée pour de bon. Sauf dans nos souvenirs. J’en ai un justement de ces souvenirs, étrange et précieux. C’était en 1993, à Rennes. J’étais avec une équipe de tournage qui adaptait un de mes livres, La Trame conjugale, en documentaire pour Arte. Et soudain Anémone surgit, elle n’avait rien à faire dans le documentaire, mais je crois qu’à l’époque elle était très copine avec le réalisateur. Nous étions dans un bon restaurant du centre-ville, pour fêter la fin du tournage. L’ambiance était incroyablement animée et joyeuse, très bruyante, tranchant avec le calme retenu de ce deux étoiles (heureusement nous étions dans un petit salon). A mi-repas, Anémone plongea à quatre-pattes sous la table, et y resta, sauf brèves apparitions, jusqu’au dessert. Elle cherchait désespérément une boucle d’oreille qu’elle venait de perdre. Nous avions cru à un gag, et les rires, le vin aidant, se déployèrent de plus belle. Ce n’était sans doute pas un gag (je n’en suis pas totalement certain encore aujourd’hui, elle cherchait vraiment sa boucle d’oreille, mais en simulant le gag lors de ses réapparitions pour ne pas plomber l’ambiance), elle était seule, dans sa tristesse, incomprise au milieu des rires.

Elle était une personne très étrange, comme venue d’une autre planète, qui disait ce que l’on n’a pas coutume de dire, de garder pour soi. C’est pour cela que l’on racontait d’elle qu’elle avait un grain de folie. Elle livrait le refoulé, brisait les secrets, créant la surprise, le rire, l’indignation parfois. Sa solitude grandissante à la fin de sa vie est une illustration frappante du fait que nous sommes dans une société beaucoup moins libre qu’on ne s’imagine, de moins en moins.

Je ne me souviens plus comment cette histoire s’était terminée ; j’espère vraiment que tu avais retrouvé ta boucle d’oreille, Anémone.

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