Dans l’auto

 

Ah la voiture ! Elle constitue une sorte de petit monde séparé du grand monde, un petit monde fermé et intime où l’on est si proche de ses proches que la moindre différence peut provoquer une sorte de choc de civilisation en modèle réduit. Il faut donc apprendre à accorder les désirs contraires, quand l’un (ou l’une) aime avoir chaud alors que l’autre voudrait baisser la vitre, quand l’un (ou l’une) adore la propreté impeccable alors que l’autre ne peut vivre sans son petit fouillis, quand l’un (ou l’une) ne cesse de parler alors que l’autre préfère le silence. Mettre la radio ? Mais là aussi les goûts diffèrent ! Musique classique ? Radio Nostalgie ? Info en continu ? Pour tout vous avouer, il y a là avec ma femme un point de divergence notable, qui fut assez difficile à résoudre, durant nos longs trajets. Nous avions un temps trouvé une solution, mais qui n’était guère satisfaisante : celui (ou celle) qui conduisait choisissait son émission préférée, et le passager (ou la passagère) attendait d’avoir le volant pour changer de poste. Solution guère satisfaisante car reposant sur les privilèges du pouvoir et abandonnant l’idée du consensus conjugal, ce travail continu de construction d’une culture commune au-delà des différences. Nous avons donc réfléchi, discuté, et trouvé beaucoup mieux : le livre audio. Le livre audio est une invention merveilleuse. Bien sûr il faut se mettre d’accord sur le titre, et éviter peut-être un roman policier trop prenant au risque sinon de ne pas respecter les vitesses ou de se tromper de route. Mais sinon, c’est le bonheur, les kilomètres deviennent des pages que l’on tourne, on ne dit plus « On va à Rome ou à Venise ? », mais « On prend Modiano ou Douglas Kennedy? ».

Le livre audio hélas ne règle pas tous les problèmes entre les deux protagonistes de cette micro-comédie conjugale. Car il y en a un qui conduit et l’autre qui ne conduit pas. Qui est assis à côté. Qui se dit qu’il ne doit rien dire. Mais qui soudain ne peut s’empêcher de faire une remarque qui, retenue trop longtemps, sort d’une manière plus sèche qu’il ne l’aurait souhaité (« Ah ! T’es trop près là !!!! », ou « Mais t’es à 140 !!! »). Vous aurez remarqué que cette phrase souvent est toujours la même, parfaitement répétitive, et que la riposte de l’accusé est également identique. Il est des couples qui après dix ans, vingt ans, trente ans de vie commune, sont très surpris de constater que leur répliques ne bougent pas d’un iota, que le débat n’avance pas d’un pouce dans cet impossible dialogue automobilistique. Eh bien je veux ici rassurer tout le monde, car ceci est normal, tout à fait normal. Nous avons en effet des manières de faire si personnelles et si profondément inscrites que même trente ans d’incompréhension et de critique du conjoint ne peuvent suffire à les déplacer. Tout l’art conjugal consiste justement à construire un monde commun à partir de ces différences.

Bonne route !

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