Identités, la bombe à retardement

La crise dans laquelle la France et l’Europe sont en train de s’enfoncer n’est pas seulement financière et économique, mais concerne tout un modèle de société. Dans un moment particulièrement délicat de transition entre un ancien monde en voie de dérèglement et un nouveau encore en pointillés, un péril nous menace. Celui de l’enfermement de chacun dans ses certitudes, désignant l’autre comme un bouc émissaire, coupable de toutes ses souffrances. Un danger qui prend notamment la forme de crispations identitaires et religieuses, d’un nationalisme agressif, du racisme. Les dérives identitaires pourraient se révéler une véritable bombe à retardement.
Une telle montée des risques se comprend mieux si on la situe au sein des modalités historiques nouvelles de fabrication de l’identité dans nos sociétés individualistes. Tel est l’objet de ce livre.


Philosophie Magazine avril 2014 (un article de Catherine Portevin) :
Jean-Claude Kaufmann est un homme en paix avec son époque. Avec sa moustache de sapeur et son sourire au coin de l’œil, on le voit, bonhomme, fouiller les sacs des dames ou leur imaginaire du prince charmant. Il aime savoir qui, dans le couple, s’occupe du linge sale et comment les hommes regardent les fesses des femmes. Cette frivolité apparente fait oublier qu’il est aussi un sociologue innovant, l’un des premiers à avoir théorisé l’identité comme « invention de soi » de l’individu moderne, avec la part d’imaginaire et de croyance qu’elle requiert. Oui, croyance. Et là, Jean-Claude Kaufmann, dans un petit livre dense et pas du tout souriant (Identités. La bombe à retardement, Textuel, 8 €), enfonce le clou : c’est bien à un dangereux dérapage de croyances que l’on assiste lorsque l’obsession identitaire, de toutes parts, sclérose le débat politique et fait progresser ce qu’il appelle le « national-racisme ». En une soixantaine de pages, il parvient à redresser les idées fausses et à retracer l’histoire de l’identité, cette notion si « agaçante » pour un scientifique, apparue au cœur de cette modernité occidentale qu’elle pourrait faire exploser. La réprobation ou les accents de Cassandre ne sont pas le genre du prétendu frivole. Raison de plus pour l’entendre quand il s’alarme.

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